Steven Brélivet/Hervé Cadiou: les fous de la diagonale
61 heures 38 minutes, trois jours de course complète, avec des nuitées a même le sol de 15/20 minutes, Steven Brélivet et Hervé Cadiou, 43 et 49 ans, originaire de Plogonnec, ont mis leur corps et tête à rude température, sur la dernière diagonale des Fous, à la Réunion, du jeudi 19 au dimanche 22 octobre. Un gros mois après, l'atterrissage a été effectué sur cette course d'une vie, qui les a liés d'une manière indéfectible, et développé un lien unique, à travers cette course jugée comme la deuxième plus dure au monde. A presque 40 heures du vainqueur, finissant autour de la 1800ème place finale sur 2067 arrivants ( 2.700 sur la ligne de départ), l'écrémage se fait par le bas sur une telle course d'une durée totale de .... 165 km avec un dénivellé de ..... 10.000 m ( soit quatre cols de 2.500 m). Parti sur le front de mer, à Saint-Pierre, dans une ambiance digne du tour de France, sur les cinq/six premiers kilomètres, pour plonger dans le cirque de Mafate aux 35°, pour y sortir et devant tenir 35 km, une gagure quand on en a fait plus d'une centaine, mais interminable quand il faut encore amener ses jambes et son cerveau pour quelques heures vers ses limites. Après avoir fait la Mascareigne (70 km) et le Bourbon (105 km), le grand chelem est complet pour Steven Brelivet, Hervé Cadiou a embarqué dans son sillage pour compléter son Bourbon 2021, par ce graal suprême et final, avec cette diagonale des fous 2023. Portrait de ces deux duettistes, qui à leur base, ne se prédisposaient pas du tout à participer à cette folie sportive.
Légende: Le bonheur pour Steven Brélivet et Hervé Cadiou, avec cette ligne d'arrivée, au bout de trois jours complet de course, et ses 165 km de la Diagonale des Foues 2023. Crédit photos: DR
Du football à l'ES Plogonnec pour Steven Brélivet, avec comme beaucoup de footballeurs, sans un grand amour pour les routiniers footings d'avant-saison, du tennis de table pour Hervé Cadiou, la course sur route leur semblait tellement éloignée à leur départ. Et même quand elle est arrivée, pas l'ombre d'un top 10 dans les courses locales ou les trails. Alors les imaginer sur ce trail de la Diagonale des Fous à la Réunion, n'était presque pas permis. Sauf qu'il y'avait comme une attraction certaine pour cette course mythique. Ayant adoré son passage d'un an et demi, à la Réunion, pour le travail ( infirmier), Steven Brélivet se sent comme chez lui, sur cet île française de l'Océan Indien, surnommé l'île intense.
Portant finalement bien son nom, ce cocktail intensif trouve son sommet sur cette diagonale des Fous. Cette 35ème édition a été celle des Plogonnécois, Hervé Cadiou et Steven Brélivet, les embarquant dans cette douce folie. En obtenant leur sésame de qualification fin juillet, après leur inscription, avec un total effectué de 85 points dans l'année sur deux courses ( 1 km=1 point, 100 m de dénivelé = 1 pt, exemple: course de 60 km avec 2.500 km de dénivelé), cette année 2023 a été le fruit d'une intense préparation pour tenir ce régime surnaturel, une fois le départ lancé. Le trail des Templiers à Millau, un trail dans les Monts d'Arrée, celui de Guerlédan, un GR 20 en Corse, pour se familiariser avec le denivelé ( la clé pour les deux protagonistes).
Ces 10 mois de préparation, avec trois derniers mois intenses, sans être dans l'absolutisme alimentaire, ont été suivis à la lettre, pour se préparer à ces trois jours sortis du tout contexte. Restant constamment ensemble, ils ont vécu cette course de l'intérieur. " Nous sommes restés ensemble constamment. Nous avons eu un ralentissement dans la course d'1h30. Dans notre tête, tout était calculé, tout devait l'être, parce que nous n'avions pas une grande marge sur les éliminations au temps. On s'était fixé un temps entre 50 et 60, on finit en 61h38', on y est. Le meilleur a bouclé l'épreuve en un jour, nous, il nous en a fallu trois", expliquent les compères plogonnécois.
La douleur? " Il y'a des moments dans la course, où on se demande mais qu'est ce qu'on fout-là? Il y'a un cumul, la fatigue, un ras-le-bol, une oscillation entre être bien/pas bien", remarque Hervé Cadiou. Pour Steven Brélivet, le ressenti était aussi intérieur. " Je m'étais fait mal au genou avant de partir. Dans la première partie de la course, je ressens la douleur, j'en parle à Hervé. Qu'est ce qui fait tenir? On savait que ça serait dur, il y'a un appel avec ma femme, des messages d'encouragements des proches, des mots de mes filles, on passe au-delà et on se dit qu'on n'a pas fait tout ça pour abandonner. On repart, et au fil des kilomètres, on se projette. Il y'a aussi beaucoup de moments, où on ne passe à rien (rires)".
Ces trois jours dans la Diagonale des Fous les auront fait changer de dimension, à l'arrivée. Il y'avait une immense fierté de l'avoir accompli, eux des anonymes du peloton, sans prétention à une place au classement. " Nous n'avons jamais été en club, on a fait une préparation sérieuse, mais sans avoir des programmes d'entraînement. On est la preuve qu'on peut tenter cette expérience, sans avoir un gros bagage de résultat. Le t-shirt jaune final est d'ailleurs symptomatique, il est marqué, J'AI SURVECU! Celui-ci, c'est comme un trophée. Il traduit bien l'esprit de cette course unique, où finalement, notre seule ambition était cette ligne d'arrivée avant les 66 heures ( au-delà synonyme d'élimination du comptage final).
A cinq heures près, le dimanche matin, le 12 au matin, ils sont sortis de nulle part, ou plutôt si de cette diagonale entre Saint-Pierre et Saint-Denis. " Emotionnellement, c'est très, très fort, j'ai fini mon parcours avec mes deux filles, qui m'attendaient avant la rentrée dans le stade de la Redouté. On était à 10 couples, une vingtaine d'enfants", précise Steven Brélivet.
Même chose pour Hervé Cadiou, " Au dernier point ravito ( tous les 12 km), il y'a cette notion d'aller au bout, on s'y prépare. On voit le bout, nos proches s'étaient mis juste avant l'entrée dans le stade, j'ai fini avec ma nièce. Après trois jours sans dormir, juste des micro-siestes ( qui rebooste presque complètement), il y'a une grosse fierté d'y être parvenu. Ce n'est pas commun, mais sans en devenir une passion, je suis heureux d'avoir fait cette expérience".
Quand on y a goûté, est-on prêt à y repartir? A voir leur complicité évidente, avant de répondre, les deux préfèrent lever le pied. " Cette année 2023 nous a demandé beaucoup de concessions, à nous, à nos proches. On en ressort avec un excellent souvenir parce que nous n'avons pas eu de douleurs physiques. Un tel trail, un coureur met quatre semaines à récupérer, mais nous n'avons pas eu de crampes, par exemple sur notre parcours. On est resté dans ce qu'on savait faire, sans se mettre dans le rouge. On continuera à courir, mais pas ses distances extrêmes. Le Marathon du Mont Blanc ou de grandes villes européennes, ça pourrait nous correspondre. Ca nécessite aussi moins de préparation".
Mais cette Diagonale des Fous restera comme un moment impérissable dans la vie de Steven Brélivet et Hervé Cadiou, qui ont survécu à ce monument sportif. Cette traversée entre Saint-Pierre et Saint-Denis de 165 km restera gravé,. Ayant atteint leur pic sportif, ils veulent maintenant redescendre de cet extrême en allant sur des courses presque humaines, toujours avec l'envie pour ses épucuriens de se faire plaisir, pendant et après la course.