Mais à quoi peuvent bien penser les coureurs pendant l'effort ? C'est la question que tout le monde se pose, non ? Parce que se retrouver en tête à tête avec soi-même sans possibilité de s'échapper, on n'en a pas souvent l'occasion dans la vie quotidienne. Quelque chose d'excitant et d'effrayant à la fois ! Muni de mon fidèle bloc note et d'une bonne dose de courage (il en faut quand on pose une question incongrue à des coureuses et coureurs plus habitués à répondre de leurs performances qu'à philosopher en reprenant leur souffle), je suis allé interroger les un(e) et les autres sur la ligne d'arrivée des Foulées Douarnenistes.
Légende: Le coureur de fond, à l'image du Landudalais Romain Canry, n'échappe pas à ses pensées pendant l'effort, entre échappatoire, projections, et black-out, à chacun sa méthode. Crédit photo: DR
Première surprise, la question n'a que rarement désarçonné mes interlocuteurs. Que dire des réponses ? Je me suis amusé à les classer. Dans la catégorie "PLUS SÉRIEUX TU MEURS", on retrouve sans surprise les cracks du macadam, ceux qui sont là pour la gagne. La palme revient à (roulement de tambour) Alexandre Audo (Élan du Porzay), deuxième de la course ce jour-là. "Je ne pense qu'à la ligne d'arrivée. Aller jusqu'au bout, garder le rythme, voilà ce qui m'obsède." Romain Canry joue à peu près dans la même cour et dans cette catégorie, il est également nominé. "Quand tu es à la lutte, tu penses surtout à ne pas te crisper, à rester relâché, dans ton allure, à ne pas aller au-delà de tes possibilités."
Dans la catégorie "ON S'ACCROCHE A TOUT CE QU'ON PEUT", le jury (c'est moi) a peiné à départager les concurrents. Il faut dire que c'est la catégorie de monsieur (ou madame) tout le monde. Plusieurs postulant(e)s donc, dont la tenace triathlète quimpéroise Adèle Jouanigot. "Moi, je m'accroche mentalement à ce qu'il y a devant, en l'occurrence la fille qui me précède." "Oui, confirme sa partenaire de club Solène Rémy. Mais on pense aussi quand même à ne pas finir la course complètement morte." D'autres avouent des ambitions... moins avouables. "Je n'ai qu'une chose en tête, c'est la bonne bière que je vais m'offrir à l'arrivée", confie Eric. "Nous, c'est la grosse part de kouign-aman qu'on aurait pu s'offrir à l'arrivée si le contexte n'avait pas été ce qu'il est, qui a occupé notre pensée", avouent la bigoudène Nathalie et son amie Marie (Courir à Plomeur).
Nombreux sont également ceux qui avouent sitôt la ligne franchie qu'on ne les y reprendra plus (mais on les y reprendra quand même !). "Je me suis demandé : mais qu'est-ce que je fous là ?", fulmine Yoann le coureur du Juch. Idem pour Sarah, l'ex basketteuse du BCDT : "Mais pourquoi je suis venue ? (soupir). Le basket, c'est quand même plus marrant."
Dans cet état de solitude et de vagabondage mental, on compte encore ceux qui comme Olivier Le Damany le vainqueur, lâche prise et voit défiler les pensées. "Aujourd'hui, j'ai pensé à plein de choses, à tout, à ma grand-mère que je viens de perdre cette semaine, à mes enfants et pour rendre la course plus facile, aux efforts que je fais à l'entraînement."
Au sein de ce peloton éclectique, il y a enfin les nihilistes, ceux qui ne pensent à RIEN. Dans cette catégorie, c'est encore la triathlète Solène Rémy qui s'est distinguée. "On met le cerveau de côté", m'a t-elle dit joignant le geste à la parole ! C'est aussi ce que m'a confié dans un langage presque aussi imagé Joël venu tout droit de l'Ile Tudy. "On se vide la tête." Tout le contraire de David, le gars de Coray qui m'a sorti un vil adage venu de nulle part hérité de son expérience de marathonien. "Si on n'a pas résolu tous ses problèmes au bout de 42 kilomètres de course, c'est grave." Demain c'est promis, je me mets au marathon.
Rubrique Carte Blanche à Marc Férec