Jean-Luc Gestin, un speaker pas tout à fait anonyme
Dimanche 15 mai, 9 h 30. Voilà maintenant 10 minutes que Pierre Lharidon et moi-même cerclons en vain autour du centre bourg de Saint-Evarzec sans trouver précisément la ligne d'arrivée du Saint-E trail quand une voix bien connue dans le milieu de la course pédestre nous indique la voie à suivre. Ce timbre inimitable, propre à réveiller tout un village plongé dans la douce torpeur d'un dimanche matin, cette voix reconnaissable entre toutes, c'est celle du speaker Jean-Luc Gestin. Car Jean-Luc Gestin, c'est d'abord une voix. Une voix au service de la course à pied. Une discipline que le populaire prof de gestion ("Gestion comme Gestin", rigole-t-il) maîtrise sur le bout des doigts. Et pas besoin de préciser que Jean-Luc a autant de respect pour les inconnus du peloton dont il aime à valoriser les efforts que pour les stars du macadam.
Légende: A la voix reconnaissable entre mille, Jean-Luc Gestin, sans le vouloir, ni le rechercher, multiplie les paroles d'attention pour tous, félicitant tous les coureurs arrivant au terme de l'épreuve. Crédit photo: DR
Par la grâce du volubile speaker, le plus anonyme des coureurs pédestres se voit ainsi affublé de tous les superlatifs en coupant la ligne d'arrivée... "Voici le plus grand coureur, la championne du monde, le meilleur coureur de l'Ouest"... Dans le milieu, le fringant sexagénaire est connu pour son humour , son sens de la répartie et ses bons mots qui font toujours mouche. Oui, il y a du sang méditerranéen chez ce Breton au verbe haut perché dès qu'on lui met le micro en main. Mais enlevez-lui le micro et son habit de scène et voilà qu'il se fond illico dans le plus profond anonymat avec une discrétion de violette.
"Un article sur moi ? Mais tu n'y penses pas. Je ne mérite rien du tout et ne veux surtout pas être mis en valeur. Je ne fais rien d'extraordinaire. Je suis juste là pour rendre service aux associations qui se mobilisent pour donner du plaisir aux autres, je fais ça bénévolement et discrètement." Métamorphosé, le Jean-Luc adepte des grandes envolées lyriques, le tonitruant animateur de podiums. Voilà que j'avais devant moi un speaker pourtant rompu aux discussions impromptues, presque tétanisé (là, c'est moi qui exagère !), à l'heure de passer à son tour sous les feux de la rampe.
Dr Jekyll et Mr Hyde ! Pour convaincre notre homme de se raconter un peu, il me suffira de le brancher (discrètement) course à pied. Car l'inamovible speaker avant d'être speaker est d'abord un passionné de la course à pied, une discipline qu'il continue de pratiquer à raison de 4 entraînements hebdomadaires.
"J'ai toujours couru", glisse sobrement Jean-Luc. Ressusciter le passé, ce n'est pas forcément son truc mais notre meilleur speaker du monde fut naguère multiple champion de Bretagne du 400 mètres sous les couleurs de l'ES Cornouaille (!) ou du Stade Brestois. Son record personnel ? "47 secondes et 8 dixièmes, chrono manuel (c'est là qu'on reconnaît les anciens)". Un chrono qui impose le respect quand on le replace dans le contexte (absence de piste en tartan ou de chaussures de 7 lieues) ! Oui, bien peu de ces coureurs et coureuses encensées tous les dimanches par Jean-Luc le savent mais Gestin, c'était un pur spécialiste du 400 mètres. "Le 200, c'était un peu court pour moi, le 800 un peu long", ajoute-t-il avec son sens de la formule aiguisé.
L'incontournable speaker s'y retrouve-t-il dans ces trails dominicaux très prisés qui ont peu à peu supplanté les courses sur route ? "Tout à fait. j'aime beaucoup l'esprit authentique du trail, la simplicité et l'humilité du milieu, le lien entre sport et nature." Son rôle de speaker, il en apprécie toutes les facettes, particulièrement le "côté festif", car comme il aime à le souligner, "on est là pour s'amuser, pas pour se prendre la tête." C'est bien pour cela que nombre d'organisateurs le sollicitent. Dans les rangs des coureurs, sa popularité n'est pas moindre. "Ce que j'aime chez lui, c'est son côté imprévisible", témoigne Hervé Tymen. "Il a toujours le mot juste", ajoute Alexandre Audo. "Sans lui, ce ne serait tout simplement pas pareil", renchérit Olivier Le Damany. "C'est un mec qui ne pense pas qu'à lui", résume encore Pierre Lharidon (pas un traileur celui-là) qui a le sens de la synthèse.
Voilà bien 30 minutes que les premiers ont franchi la ligne mais le peloton des arrivants n'en finit pas de se dévider et le sympathique speaker les accueille avec la même ferveur chaleureuse. Avec Jean-Luc, c'est sûr, les derniers seront les premiers car notre homme leur fait maintenant miroiter une prometteuse et délirante tombola. "Attention, ça va être chaud ! Il y aura tout à l'heure un tirage au sort pour des lots exceptionnels qu'on a piqués à des oligarques russes." Il est 11 heures, Saint-Evarzec s'éveille...
Rubrique Carte Blanche à Marc Férec